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.À juger du poids que cela représentait quand il les laissa tomber sur le plancher en lames de noyer, la chose était plus que probable.« Ou c’est de l’or, ou c’est du plomb », s’était dit le bon docteur.Il avait décacheté la lettre.Elle était brève.Mon cher ami, disait-elle, je fais appel aujourd’hui, en ma vie finissante, au profond connaisseur de l’âme humaine que vous avez toujours été.La marche du monde a été telle, ces dernières années, que cela fait maintenant cinq ans que nous n’avons plus parcouru cette montagne de Lure qui nous était si chère à vous et à moi.Gagnon déposa la missive sur sa table de travail.Pour écrire un tel charabia, il fallait effectivement que son ami Gaussan (celui-ci avait lavé sa particule bien avant la révolution) fût au plus mal.Cet homme avait aimé Voltaire autant que lui, Gagnon.Ils l’avaient ensemble commenté, critiqué et disséqué et Gagnon avait toujours admiré que ce riche aristocrate fût si hautainement humaniste.Il avait pourtant connu un temps la cour du Bien-Aimé et s’y était fort diverti, prétendait-il, étant épicurien.À Gaussan où il avait été invité, Gagnon et lui avaient eu d’interminables discussions sur la nature de Dieu comme sur celle des anges.Gagnon avait soupiré sur ce temps perdu de sa jeunesse et il avait repris sa lecture.…Je viens aujourd’hui vous confier ma survie.Vous recevrez un jour, je l’espère, la visite de ma fille que sa mère a eu la fantaisie d’appeler Sensitive.Je lui ai enjoint de regagner Gaussan coûte que coûte (je suppose quelle a hérité de l’intrépide héroïsme de ses lointains ancêtres) afin de faire pièce aux envahisseurs de notre château, non que je sois particulièrement attaché aux biens de ce monde mais notre parc contient un secret dont la nature ne m’est pas connue et qui me tient à cœur par son mystère même.Peut-être un de mes descendants le découvrira-t-il et c’est dans cette espérance que je vous confie pour les remettre à Sensitive (si malheureusement elle ne vient pas vous les garderez pour vous, vous sachant charitable je sais que vous en ferez bon usage) les deux sacs de louis que mon fidèle Planchart vous remettra.Adieu, mon ami, nous mourons donc devant Mayence, en terre étrangère, mais dans le fond, quelle importance ?La missive n’était même pas signée.Les deux sacs d’or déposés bruyamment sur le sol par le messager valaient le plus authentique des paraphes.Après avoir relu la lettre, Gagnon l’enroula lentement.Elle était alourdie par le sceau des Gaussan : Semper filii dei.Il se leva.Lambert était aux ordres, quant au petit-fils, Henri, campé la tête haute en dépit du pli sceptique de ses lèvres, son visage exprimait la sévérité d’un censeur.La révolution l’avait imbibé jusqu’à l’âme.— Dis-moi, Lambert, il doit bien rester un demi-chapon de mon dîner d’hier et une casserole d’épeautre ? Tu y joindras une bouteille de mon vin de Sassenage.Ces gens doivent être morts de faim et de soif.Ah ! Tu diras à Biboud de rentrer les chevaux à l’écurie et de les nourrir convenablement.Dis-lui de leur verser une bouteille de vin aussi dans leur avoine, ils apprécieront.En attendant va donc chercher nos visiteurs et fais-les entrer.— Le béjaune aussi ? dit Lambert scandalisé.— Le béjaune aussi !— Mais il est en sabots, porte une carmagnole et un bonnet phrygien !— Il est nu dessous ! répliqua Gagnon.Il fit vers Lambert un petit geste de congédiement qui soulignait sa volonté.— Hospes sacro sanctus est ! N’oublie jamais ça, Lambert ! L’escalier résonna sous le pas en sabots de Colas le béjaune mais devant lui et avant lui, sans bruit sur ses souliers de satin, la marquise esquissa une demi-révérence devant le docteur Gagnon et celui-ci lui baisa la main.La vue d’une beauté qui avait résisté sans faiblir à six jours de cahots sur des chemins défoncés, sans rien perdre de son éclat, lui imposait le respect.Elle lui tendit sans un mot la lettre de son père qui lui enjoignait de gagner Gaussan au plus vite.— Je verrai ça plus tard, dit Gagnon.Pour le moment installez-vous et mangez ! Vous devez mourir de faim.Colas demeurait dans l’ombre de la marquise et faisait le laquais tant qu’il pouvait pour passer inaperçu.Le couvert était mis pour deux personnes.— Excusez-moi, dit Gagnon, j’ai déjà bu mon café.Eh bien monsieur ? dit-il à Colas, assoyez-vous donc !— Assieds-toi, dit la marquise doucement.— En face de vous ?— Et alors ?Ce « Et alors » plut infiniment à Gagnon.C’était son leitmotiv.Tout ce qui paraissait faire obstacle à l’entendement d’autrui lui paraissait évident à lui.Rien ne l’étonnait en la nature humaine.Il savait quel chemin elle avait encore à parcourir pour devenir parfaite encore qu’il dépendait de ce qu’on entendait par perfection.Il rejoignit à la cuisine Lambert qui coupait deux tranches de jambon sur un cuisseau de porc.— Tu feras la chambre de Séraphie, lui dit-il.Elle est à Sassenage pour huit jours.— Et pour le béjaune ?— Le béjaune ? Il couchera sur la descente de lit.Mais si ma connaissance de l’âme humaine n’est pas en défaut, la marquise ne tardera pas à lui ouvrir les draps.Lambert à ces mots se redressa d’un pied et prit la raideur d’un valet de comédie.Il n’aimait pas que son maître plaisantât sur le chapitre.— Et alors ? dit Gagnon rudement.Ils viennent de faire ensemble trois cents lieues.Il doit avoir les couilles tuméfiées et quant à Sensitive, puisque Sensitive il y a, si son cul a résisté aux cahots sur tant de mauvais chemins, tu ne crois pas qu’il doit être bouillant ? Ils viennent de l’enfer que les convulsions de la liberté ont imposé au monde.Comment veux-tu qu’ils n’aient pas fait l’amour ? C’est le seul remède contre le désespoir !C’était la distraction du vieillard que de scandaliser le pauvre Lambert.Colas harassé tomba sur la descente de lit pour dormir jusqu’à l’aube sans désemparer.Quant à Sensitive, pour la première fois dans des draps de lin depuis six jours, aucune velléité ne s’empara d’elle.Les amants dormirent en frère et sœur à deux toises l’un de l’autre.Au matin, ils étaient joyeux et pleins d’allant.Colas s’était esquivé avant le réveil de Sensitive pour aller gouverner les chevaux.Mais le palefrenier du docteur s’en était déjà inquiété.Il adorait que les bêtes soient bien traitées et il avait convenablement nourri et imbibé (avec le vin de Sassenage) l’avoine des percherons.Ils étaient même étrillés, ce qui de mémoire de percherons ne s’était jamais vu.La maison s’éveilla en un joyeux brouhaha [ Pobierz całość w formacie PDF ]
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.À juger du poids que cela représentait quand il les laissa tomber sur le plancher en lames de noyer, la chose était plus que probable.« Ou c’est de l’or, ou c’est du plomb », s’était dit le bon docteur.Il avait décacheté la lettre.Elle était brève.Mon cher ami, disait-elle, je fais appel aujourd’hui, en ma vie finissante, au profond connaisseur de l’âme humaine que vous avez toujours été.La marche du monde a été telle, ces dernières années, que cela fait maintenant cinq ans que nous n’avons plus parcouru cette montagne de Lure qui nous était si chère à vous et à moi.Gagnon déposa la missive sur sa table de travail.Pour écrire un tel charabia, il fallait effectivement que son ami Gaussan (celui-ci avait lavé sa particule bien avant la révolution) fût au plus mal.Cet homme avait aimé Voltaire autant que lui, Gagnon.Ils l’avaient ensemble commenté, critiqué et disséqué et Gagnon avait toujours admiré que ce riche aristocrate fût si hautainement humaniste.Il avait pourtant connu un temps la cour du Bien-Aimé et s’y était fort diverti, prétendait-il, étant épicurien.À Gaussan où il avait été invité, Gagnon et lui avaient eu d’interminables discussions sur la nature de Dieu comme sur celle des anges.Gagnon avait soupiré sur ce temps perdu de sa jeunesse et il avait repris sa lecture.…Je viens aujourd’hui vous confier ma survie.Vous recevrez un jour, je l’espère, la visite de ma fille que sa mère a eu la fantaisie d’appeler Sensitive.Je lui ai enjoint de regagner Gaussan coûte que coûte (je suppose quelle a hérité de l’intrépide héroïsme de ses lointains ancêtres) afin de faire pièce aux envahisseurs de notre château, non que je sois particulièrement attaché aux biens de ce monde mais notre parc contient un secret dont la nature ne m’est pas connue et qui me tient à cœur par son mystère même.Peut-être un de mes descendants le découvrira-t-il et c’est dans cette espérance que je vous confie pour les remettre à Sensitive (si malheureusement elle ne vient pas vous les garderez pour vous, vous sachant charitable je sais que vous en ferez bon usage) les deux sacs de louis que mon fidèle Planchart vous remettra.Adieu, mon ami, nous mourons donc devant Mayence, en terre étrangère, mais dans le fond, quelle importance ?La missive n’était même pas signée.Les deux sacs d’or déposés bruyamment sur le sol par le messager valaient le plus authentique des paraphes.Après avoir relu la lettre, Gagnon l’enroula lentement.Elle était alourdie par le sceau des Gaussan : Semper filii dei.Il se leva.Lambert était aux ordres, quant au petit-fils, Henri, campé la tête haute en dépit du pli sceptique de ses lèvres, son visage exprimait la sévérité d’un censeur.La révolution l’avait imbibé jusqu’à l’âme.— Dis-moi, Lambert, il doit bien rester un demi-chapon de mon dîner d’hier et une casserole d’épeautre ? Tu y joindras une bouteille de mon vin de Sassenage.Ces gens doivent être morts de faim et de soif.Ah ! Tu diras à Biboud de rentrer les chevaux à l’écurie et de les nourrir convenablement.Dis-lui de leur verser une bouteille de vin aussi dans leur avoine, ils apprécieront.En attendant va donc chercher nos visiteurs et fais-les entrer.— Le béjaune aussi ? dit Lambert scandalisé.— Le béjaune aussi !— Mais il est en sabots, porte une carmagnole et un bonnet phrygien !— Il est nu dessous ! répliqua Gagnon.Il fit vers Lambert un petit geste de congédiement qui soulignait sa volonté.— Hospes sacro sanctus est ! N’oublie jamais ça, Lambert ! L’escalier résonna sous le pas en sabots de Colas le béjaune mais devant lui et avant lui, sans bruit sur ses souliers de satin, la marquise esquissa une demi-révérence devant le docteur Gagnon et celui-ci lui baisa la main.La vue d’une beauté qui avait résisté sans faiblir à six jours de cahots sur des chemins défoncés, sans rien perdre de son éclat, lui imposait le respect.Elle lui tendit sans un mot la lettre de son père qui lui enjoignait de gagner Gaussan au plus vite.— Je verrai ça plus tard, dit Gagnon.Pour le moment installez-vous et mangez ! Vous devez mourir de faim.Colas demeurait dans l’ombre de la marquise et faisait le laquais tant qu’il pouvait pour passer inaperçu.Le couvert était mis pour deux personnes.— Excusez-moi, dit Gagnon, j’ai déjà bu mon café.Eh bien monsieur ? dit-il à Colas, assoyez-vous donc !— Assieds-toi, dit la marquise doucement.— En face de vous ?— Et alors ?Ce « Et alors » plut infiniment à Gagnon.C’était son leitmotiv.Tout ce qui paraissait faire obstacle à l’entendement d’autrui lui paraissait évident à lui.Rien ne l’étonnait en la nature humaine.Il savait quel chemin elle avait encore à parcourir pour devenir parfaite encore qu’il dépendait de ce qu’on entendait par perfection.Il rejoignit à la cuisine Lambert qui coupait deux tranches de jambon sur un cuisseau de porc.— Tu feras la chambre de Séraphie, lui dit-il.Elle est à Sassenage pour huit jours.— Et pour le béjaune ?— Le béjaune ? Il couchera sur la descente de lit.Mais si ma connaissance de l’âme humaine n’est pas en défaut, la marquise ne tardera pas à lui ouvrir les draps.Lambert à ces mots se redressa d’un pied et prit la raideur d’un valet de comédie.Il n’aimait pas que son maître plaisantât sur le chapitre.— Et alors ? dit Gagnon rudement.Ils viennent de faire ensemble trois cents lieues.Il doit avoir les couilles tuméfiées et quant à Sensitive, puisque Sensitive il y a, si son cul a résisté aux cahots sur tant de mauvais chemins, tu ne crois pas qu’il doit être bouillant ? Ils viennent de l’enfer que les convulsions de la liberté ont imposé au monde.Comment veux-tu qu’ils n’aient pas fait l’amour ? C’est le seul remède contre le désespoir !C’était la distraction du vieillard que de scandaliser le pauvre Lambert.Colas harassé tomba sur la descente de lit pour dormir jusqu’à l’aube sans désemparer.Quant à Sensitive, pour la première fois dans des draps de lin depuis six jours, aucune velléité ne s’empara d’elle.Les amants dormirent en frère et sœur à deux toises l’un de l’autre.Au matin, ils étaient joyeux et pleins d’allant.Colas s’était esquivé avant le réveil de Sensitive pour aller gouverner les chevaux.Mais le palefrenier du docteur s’en était déjà inquiété.Il adorait que les bêtes soient bien traitées et il avait convenablement nourri et imbibé (avec le vin de Sassenage) l’avoine des percherons.Ils étaient même étrillés, ce qui de mémoire de percherons ne s’était jamais vu.La maison s’éveilla en un joyeux brouhaha [ Pobierz całość w formacie PDF ]